Et les cheveux ébouriffés, le regard brûlant et la bouche sèche, je me suis assise en tailleur en face de toi en manquant de tomber. Je t'ai regardé droit dans les yeux. C'était assez étrange. Tu n'avais pas ton tee shirt. J'avais retiré mon jean qui me serrait trop. J'étais fatiguée d'être rentrée. Mais t'étais là, dans le canapé, à broyer du noir et à manger des céréales infâmes. Tu sais, ceux que je ne te supporte pas voir manger. Alors j'ai retiré le bol de tes mains et je me suis installée en face de toi. J'aurais pu te dire " Regarde moi ". Comme dans les films, quand le moment est vraiment compliqué et que l'autre, en levant les yeux vers l'autre, fait ce geste de lien. Mais en fait, tu me regardais déjà. Tu me regardais depuis que je m'étais secouée sur le paillasson en piaillant des flocons de neige. Quand j'ai retiré manteau, gants, bonnet et écharpe. Que l'électricité statique me faisait une coiffure folle folle folle. Et quand je me suis débarassée de mon jean. J'en avais assez, c'était pas plus compliqué. J'aurais pu aller enfiler un jogging. Mais finalement, t'étais là et t'étais pas bien. Et on était chez nous et chez nous, si on veut pas mettre de jogging, on en met pas. Pas plus qu'on met de tee shirt si on en a pas envie. Chez nous, çà se fait à l'envie. J'étais là et toi aussi. Et tu tordais tes mains sans me quitter des yeux. Tes yeux, je les vois tous les matins au réveil, toutes les minutes où on se croise dans les miroirs, toutes les minutes où on se regarde. Avec des mots ou sans mots. Juste pour regarder, se balancer des Je t'aime qui n'ont pas de mots adéquats. Et pourtant, pourtant, ce soir, ils m'ont catapultée à 5000 à l'heure contre un gros bloc de béton. J'ai pas eu froid d'un coup. Comme une douche glacée. Pas plus que la boule au ventre est venue se reloger à sa place favorite. Non, non. J'étais là mais toi, tu avais mal. Et tu savais pas comment me le dire. J'étais même pas sure que tu veuilles me le dire. Alors, on s'est regardé en silence pendant un temps. Je sais pas combien de temps a duré ce temps. Il a duré, c'est tout. On a toujours eu du mal à mettre des mots à sons sur les problèmes qui s'agitent en nous. On est bien ensemble mais c'est toujours compliqué de parler. L'écrit, on préfère. Mais en soi, on est là pour apprendre chaque jour de nouveau. Alors on essaie de parler. A voix haute, avec des mots à sons. çà prend du temps. Alors on s'est regardé. Equilibre des regards. J'ai même attrapé tes mains. Parce qu'elles criaient à l'aide l'une contre l'autre. Qu'elles voulaient arrêter de se faire du mal.

" Je suis là. Je reste là. "

(ceci n'est rien qu'une parenthèse. Rien ou tout. Je ne saurais dire)